Madrid, 1-4-03 

DE LA POUSSIÈRE AUX CHAUSSURES

Sans plafond, ni toits, ni lune
la voracité de mon âme réfugiée
définitivement dans un rêve,
volant de pays en pays,
le silence attrapé
cette main prisonnière se révolte
se défait en vent violent
brise maritime, tendre et heureuse
comme les noms que j’ai appris
à déverser dans la pénombre
amours qui tombaient de lointains précipices.
Voix fanée qui allumait les passions.
Ta voix, divisée pour toujours.

Comme les oiseaux tu te laissais mourir dans une phrase
dans un vers de goudron et de salpêtre
-Vénus brisée en deux-
tu embrassais la civilisation
tu caressais le monument des lettres
les encyclopédies de l’amour
ce long vacarme qu’était ta chevelure
enroulée en mille mots
soutenue à peine par le battement de quelques pleurs,
grincement de l’âme sans apaisement.

Oiseau du paradis survolant de petites lettres
audace amoureuse de ta lumière.

 PAOLA DUCHÊN REYNAGA
École de Poésie Grupo Cero
Atelier Samedis 19h Madrid
Coordinateur: Miguel Oscar Menassa


Madrid, 2-4-03

L’OMBRE D’UN CORPS

Il fait nuit dans la rue abandonnée
et résonnent dans ma poitrine
des traces de pas
humidifiant le trottoir.

Sous d’anciens balcons
des souvenirs scrutent
des yeux sans regard,
ruse d’une rancune.

Il fait nuit dans la mémoire souterraine
et c’est mon souffle
le seuil de tes mots
qui rendent praticables les pierres.

Parmi des draps de peau,
vêtus pour le vol,
nous chassons des pages qui tissent
une histoire d’amour.

Il fait nuit claire dans le paysage de voix
et nous,
aveugles au brouillard de la douleur
nous sommes l’ombre d’un corps.

MONTSERRAT ROVIRA
École de Poésie Grupo Cero
Atelier Samedis 17h Madrid
Coordinatrice: Carmen Salamanca Gallego


Madrid, 3-4-03

DURANT VINGT ANS

Je t’ai aimé
comme on aime
le profil des morts.
J’ai regardé tes yeux de verre,
si bleus, si fixes
et j’ouvrais les fenêtres,
brisais les murs,
pour que l’air
entre parfumé,
de chèvrefeuilles et de miel.
Je joignais mes mains
en les serrant avec force,
pour sentir la chaleur
proche d’une peau.
J’ai pris soin de moi, comme on prend soin
de la mer et des nuits
chaudes de l’été.

PILAR NOUVILLAS
École de Poésie Grupo Cero
Atelier samedis 17h Madrid
Coordinatrice: Carmen Salamanca Gallego


Madrid, 4-4-03

COMME UN GANT

Comme un gant
ton silence adhère
à mes phalanges.
Bave chaude, inerte,
ton silence me provoque
m’ébranle,
et fait éclater cent mille mots
dans ma gorge.

Comme un gant
ta silhouette
se colle à ma ceinture,
file sur mes seins,
se mêle à la boue de mes pieds.
Et trouve sa place
entre mes jambes.

Comme un gant
de fins doigts de soie,
ton regard me parcourt
presque éthéré, presque nuage
dans ce printemps.

Dehors,
un soleil se destitue.

ALEJANDRA MADORMO
École de Poésie Grupo Cero
Atelier Vendredis 11.30 Buenos Aires
Coordinatrice: Norma Menassa


Madrid, 7-4-03

LIBRE

Tout est bien comme ça.
Je m’abandonne mollement au passage des heures,
des jours,
et dans le hamac vide bercé par le vent
je reconnais la petite fille morte en moi.
Tout est bien comme ça.
Je préparerai mes bagages
presque avec joie,
j’entreprendrai le retour disposée une fois de plus.
Mais aujourd’hui je ne veux rien.
Je suis réunie avec le bois profond
comme une de ses feuilles.
Je vais passer le reste de la vie
assise sous le chêne,
à écouter l’appel de la calandre
et la réponse du chardonneret.
Ne rien savoir des merveilles ou des misères humaines.
Assise sous le chêne
où tout l’été se réunit
et le vent passe à peine
comme craignant de découvrir un autre soleil.
Assise sous le chêne
sans destin.
Assise sous le chêne
j’imagine la mort comme un rêve imprévu,
et mon corps,
amalgame du bois
feuille sèche et craquante,
libre.

 INÉS BARRIO
École de Poésie Grupo Cero
Atelier Vendredi 11h30 Buenos Aires
Coordinatrice: Norma Menassa


Madrid, 8-4-03

AUGURE MATINAL

Et tu reviens de la douleur sans bagages?
Déplie ton sourire inaugural !
J’ai rêvé que tu répondais à mon message
dans ta langue sexivore et pluriel.

Je t’ai regardé du fond des yeux
en invoquant ta plume cramoisie,
je te pressentais derrière les serrures
dressé, me disant que oui.

Après t’avoir tant et tant aimé
je me suis réveillée avec ton nom juché
sur ma fleur -augure matinal-

Aujourd’hui je te demande que tu te renverses à mes côtés :
la force du désir redoublé,
le vacarme joyeux de ta peau fruité.

PAULA MALUGANI
École de Poésie Grupo Cero
Atelier Samedis 19h Madrid
 Coordinateur: Miguel Oscar Menassa


Madrid, 9-4-03

VOIX

Il y a des voix qui existent dans les distances.

Elles unissent des mers
chantent haut en invoquant la justice.
Elles laissent derrière absentes du verbe,
de froides mains du matin.

Des vies délivrées du silence
trouvées en train de faire l’amour, leur passe temps,
en train de vivre sur une page.

Des noms comme une mémoire du futur,
lettre qui paie une rançon pour la livre de chair
l’âme anonyme.

Jaime Icho Kozak
École de Poésie Grupo Cero
Atelier Dimanches 11h madrid
Coordinateur: Miguel Oscar Menassa


Madrid, 10-4-03

DRAGON BICÉPHALE

Dragon bicéphale
des étincelles jaillissent de tes yeux :
des nœuds aux tiges orgueilleuses
bourgeonnant au printemps,
reflétés sur les iris
comme des miroirs versatiles
parcourant des chemins sauvages
rêvés dans un autre temps.

MARISA RODÉS PUEYO
École de Poésie Grupo Cero
Atelier Samedis 17h Madrid
Coordinatrice: Carmen Salamanca Gallego


Madrid, 11-4-03

MONUMENT AUX LETTRES

Triste, comme les chansons de l’exil,
la vie gémit entre mes bras
ivre
de traits de l’usure triviale
des cellules familières.

Une vie essaie de dépasser
le creux laissé par mon sang

parce que mon corps tourne magnétique
les faisceaux d’indignation illuminés
par de subites cécités de l’enfer

et entre mes mains il y a un entassement,
une crampe d’artères dépliées,
qui n’arrive pas à dégrader ce regard.
Puisque quand je rie il naît
et quand je me tais, de ses désastres glacés,
immense, la vie, de mes os se détache
comme un voile rapide
qui laissera
une beauté brunie aux jouissances cachées.

Et je veux précipiter
la chute de mes os.
Par le puisard circule mon âme.
Moi, je vois couler sa délicate incongruité,
se défaire dans de frénétiques bas-côtés
dont la mélancolie médiévale rappelle
l’obtuse humeur des détritus.  

Est-ce que je suis un écho de la vie
ou un laquais de ses deuils rebattus?
Oh! Avec ses doigts humides
leur débit la mort soulève
sur mon cou limpide
et de mes yeux elle ne sait pas
si je pleure, si je me tais, si je meurs…

KEPA RÍOS ALDAY
École de Poésie Grupo Cero
Atelier Samedis 17h Madrid
 Coordinatrice: Carmen Salamanca Gallego


Madrid, 14-4-03

LE VENT DE LA VÉRITÉ

Aujourd’hui je reste ici,
debout, immobile sous un ciel
de marbre noir et rouge,
modérant toute régression,
scrutant à peine des grimaces de douleur,
debout…
comme le rocher debout après la montagne
solitaire et exposé aux vents;
Oui, calme, disons, par exemple:
de façon absolument inamovible.
J’ai passé mon temps à y penser,
et tout ce temps, j’étais déjà paralysé.
Je reste où je suis
et je laisserai, tranquillement
que le soleil caresse ma peau jusqu’à la rompre
et cette douleur,
ne sera pas vraie non plus.

Aujourd’hui je ne reste nulle part,
je vole, je fréquente les astres,
je décris des trajectoires impossibles,
je frappe ma tête n’importe où,
on recueille mon cerveau entre les restes,
je suis mort de ne pas comprendre par liberté,
ce que par liberté on doit comprendre,
et ma cervelle,
a alimenté mille enfants affamés
et cette douleur, non plus, ne sera pas tout à fait vraie.

JORGE FABIÁN MENASSA DE LUCIA
École de Poésie Grupo Cero
Atelier Samedis 17.30h Madrid
Coordinatrice: Alejandra Menassa de Lucia


Madrid, 15-4-03

À L’AUBE

Comme une peau de lion
je plonge les plaies dans la blessure
des passions traqués par les siècles.

J’écris une page nue
neige de vallées élevées.
Serment de vents rougis dans de nouvelles villes

bûcher de toreros
véroniques jouées dans l’arène
tête à tête
face à face
entre toi et moi
rayons amants d’un poème.

Doigts de miel
tachés
dans des sueurs tranquilles.

Je m’en vais pour te toucher avec d’autres yeux
pour te regarder avec d’autres mains
pour t’embrasser avec une autre voix
pour t’écouter avec la langue
des odes mémorables
à l’aube
toujours aube
avec les premiers rayons du soleil.

MONICA LOPÉZ BORBÓN
 École de Poésie Grupo Cero
Atelier Dimanches 17h Alcalá de Henares
Coordinateur: Carlos Fernández del Ganso


Madrid, 16-4-03

À VOIX HAUTE

À voix haute, encerclée sur le chemin,
je soutiens les voyelles de ce cri.
Des dards sur les consonnes arrêtent
les desseins.

Peut-être qu’accablé, l’impossible hasard
démissionne  dans d’interminables points de suspension…

Parce que… il n’y aura pas de guerre qui transforme l’ennemi.

Peut-être qu’il n’est pas encore trop tard
pour que le mot humanité s’établisse
de façon unanime dans nos destins.

Mª ROSA PUCHOL PÉREZ
École de Poésie Grupo Cero
Atelier Samedis 17h Madrid
Coordinatrice: Carmen Salamanca Gallego


Madrid, 21-4-03

OMBRE D’UN CORPS

C’est sur son ombre
où un corps se donne
corps en culture
digestion poreuse de la chair
qui arrive ainsi à s’inventer.

C’est pour ça que je m’éloigne du corps
bien que je navigue en lui.

Je ne cherchais pas
le centre féroce du courant.

Sur la rive
il y a une rivière sans lutte
et l’eau
épèle
sa rose mordue.

Je cherche l’ombre du corps
ses feuillages
tout le rivage…
pour que le charme du paysage
puisse s’approcher.

Et je t’attends
loin de toi
dans ta douce pensée.

SERGIO APARICIO ERROZ
École de Poésie Grupo Cero
Atelier Samedis 17h Madrid
 Coordinatrice: Carmen Salamanca Gallego


Madrid, 22-4-03

LE POÈTE, LE GRAND RESPONSABLE

Prisonnière d’un moment
frontière d’un air sadique
je suis étrangère dans mon jardin
la pluie ne calme pas
toujours les oiseaux.

Je perds mon nid,
eau
     neige
            grêle torrentielle
ferment le chant des oiseaux,
je déplie mes ailes
je sors de ma cage
je siffle une chanson au monde
les oiseaux passent…
mélodies de papillons
métamorphose de l’amour.

Le géranium embrasse
mes vieilles peaux
détache un cri derrière le mot :
la poésie arrive,
magique elle me dit:
sors de ton animal,
dicte au vent tes pleurs,
vole sur la terre
sans amarres
dans la voix de l’oiseau,
voile et rose
pollen dans l’air
sang de poète.

CARMEN PRESOTTO
École de Poésie Grupo Cero
Atelier de Porto Alegre
Coordinatrice: Marcela Villavella


Madrid, 23-4-03

LAISSANT ÊTRE

Laissant être,
revenant au sourire de la mère
des cruches de terre,
rafraîchissent l’eau chaude de l’été,
dans ses rues d’histoires
de putes et de cow-boys.

Des hanches à talons
des minijupes aux fusils orangés.
Les pierres racontent
qu’il y a sur le chemin,

toutes les filles,
perdent leur peur de vivre
vers trois heures du matin.

Des pierres blanches, noires ou grises
construisent le lit de leur amour
meurtries,
frappées par l’échec de
n’importe quel étranger.

Elles ne sentent pas l’amour
il leur a été arraché
dans le lit de leur naissance sans père,
leurs familles les échangent
pour des effets et des vases de bois brut.

Elles acquiescent avec des larmes
elles ne rêvent que du paradis
et leur unique espoir
est la lune de trois heures du matin.

C. CRISTINA FERNÁNDEZ ARGUDO
École de Poésie Grupo Cero
Atelier Samedis 15,15h Madrid
 Coordinatrice: Carmen Salamanca Gallego


Madrid, 24-4-03

CRISTAL

Leurs yeux une lettre à découvrir.
Leurs mains un million de fleuves
où naviguer.
Leurs mots des destins impensables.
Leurs silences un chemin.
Leurs bras un foyer.
Leur rire une vie, un monde, une nouvelle aurore.

LUIS RODRÍGUEZ
École de Poésie Grupo Cero
Atlier Samedis 15,15h Madrid
Coordinatrice: Carmen Salamanca Gallego


Madrid, 25-4-03

INNOMBRABLES

Comment dire l’innombrable,
comment l’écrire,
ou chiffrer le passage du vent,
sur les vastes champs de blé,
vastes mers.
Seul le poème sait,
doucement,
la soif de l’âme réveille,
ce que dit le rêve illimité d’une bouche,
des yeux d’abîmes dans des beautés telles,
des horreurs telles, des énigmes telles
rouges comme du sang.

Attention! Le mystère brille,
couronne des savoirs au-delà,
surgit du néant indicible, insaisissable
qui n’existe pas.
Oui, les sables sont innombrables,
mais aujourd’hui je ne veux pas les compter.
Une étrange certitude a plié ma pensée.

SANTIAGO DE MIGUEL
École de Poésie Grupo Cero
Atlier Mercredis 19,45h Madrid
Coordinatrice: Paola Duchên


Madrid, 28-4-03

MILLE CHAÎNES D’AMOUR

Comme du sable humide au bord de la mer
noyée par l’écume d’une vague qui se retire
lentement, difficilement
s’accroche et lutte pour demeurer.
Éponge d’eau salée
gonflée de plaisir
dévasté par cent marées
dont il ne reste aucune mémoire.
Seul un souvenir ténu du plaisir éphémère
qui en même temps lutte pour demeurer.

NATALIA BLASCO
École de Poésie Grupo Cero
Atelier Mercredis 19,45h Madrid
Coordinatrice: Paola Duchên


Madrid, 29-4-03

LES ENFANTS

Dans chaque homme vit la pupille d’un enfant.
Juan, le fils du mineur, tout petit
a voulu savoir les secrets de la mine,
il aurait été un homme?
Ses frères le sont, ils s’assoient à table
et partagent une miche de pain et échangent
des mots qui prennent la couleur d’obscurs minéraux

quand ils nomment Juan, Juanito, si petit
qui dès qu’il est né est devenu silence.

David, le fils du charpentier,
qui a goûté le bois avant l’heure,
il aurait été un homme?

Ses compagnons de jeu le sont,
ils caressent des femmes avec le revers d’une main chaude,
et une larme monte de la poitrine à la gorge
quand dans l’âme brille David avec sa petit mort
avec sa mort de six ans,
et ses cinq petits doigts, tous de la main gauche
sur la sciure déserte, déjà sans vie.

Sara, la fille de l’avocat,
qui a connu si tôt l’injustice…
elle aurait été une femme?
Ses voisines reposent leurs têtes sur des oreillers,
et chaque jour se lèvent et vont travailler,
et la photo de Sara jaunit petit à petit.

On ne peut pas en faire une autre, pense l’une d’entre elles
et s’en rendre compte, la fait trembler.

ALEJANDRA MENASSA DE LUCIA
École de Poésie Grupo Cero
Atelier Samedis 19h Madrid
 Coordinateur: Miguel Oscar Menassa


Madrid, 30-4-03

IRAK, 2003

Je me suis assise face à l’œil liquide de cristal
décidée à être autre dans son regard.

Il n’y a pas eu de temps pour la surprise.
La peau escarpée de son écoute
a fait grincer des matières indomptables
où l’horreur de la moitié de l’humanité
clamait la vengeance de mes mains.

De fins réseaux de pouvoir, de macabres
stratégies d’une invisible face
enveloppaient sans repos notre vie.
Des licornes à l’âme fossilisée
convertissaient notre monde
en un insolite entrepôt d’erreurs.
De conjonctions osées de l’absurde
ont construit la trace de cette Histoire.

J’ai calculé avec efficacité sa stratégie :
marcher toujours, mais en rond;
maintenir la farce, le désordre précis
pour que seule triomphe la mort.

J’ai décidé de renoncer à l’oubli,
de dépecer des ulcères soumises
au dernier râle de la bête.

J’ai réuni la haine équidistante à mon dépit,
la mesure juste de la corruption concentrée,
j’ai exorcisé chaque battement de mon cœur
et, cependant, le monde se tordait
dans sa folie mortifère.
J’ai estompé alors
des racines avec une double intention,
la fétide haleine de son ombre
établissant d’avance la défaite.

Il y a eu des désertions,
attente brisée sans témoins
sous le manteau certain de la nuit.
Nous avons été traqués,
enfermés dans le sous-sol du destin.
Le succès clôturé a été infâme,
stigmate silencieux et trahison
sur la légère portion de nos pieds.

Ensuite, encore, l’exil
dans les jetées de la vie,
perforées à l’aveuglette par la peur.

Maudite depuis toujours,
cette guerre sera votre tombe.

 CARMEN SALAMANCA GALLEGO
École de Poésie Grupo Cero
Atelier Samedis 19h Madrid
Coordinateur: Miguel Oscar Menassa


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